En Bazadais
Le feu de Noël avait lieu le soir de Noël et il fallait faire le tour du champ, à la tombée de la nuit, avec un feu de paille allumé :
« Nous faisions le feu pour Noël. Je me rappelle bien que je faisais le tour du champ avec un flambeau. Papa préparait les flambeaux et les allumait. A la tombée de la nuit, nous faisions le tour du champ mon frère et moi. (Halha Nadau 1)»
Contrairement au feu de Noël en Chalosse, la coutume des feux dans le Bazadais n'est pas liée à celui des feux fixes. Ce n'est pas non plus un rituel collectif mais un rituel familial qui se déroule dans les champs proches de la maison et auquel participent les enfants avec les adultes, le plus souvent le père ou le grand-père. Selon les nombreux témoignages assemblés, nous pouvons en conclure que ce rituel fut très populaire jusqu'à la moitié du siècle dernier. Au moment de l'enquête de terrain dans les années 1980, il était encore pratiqué dans quelques familles.(Halha Nadau 2)
Depuis la publication d'un article dans les « Cahiers du Bazadais » en 1988, le feu de Noël a repris vie dans le Bazadais, mais selon des formes qui sont très loin de la pratique originelle et qui ressemblent à un défilé avec des feux.
Le tour du champ était accompagné d'une formule magique. Une version, très connue dans tout le Bazadais, apparaît comme une version type :
Halha Nadau, Lo pòrc a la sau, La pola au topin, Coratge vesin ! |
Feu de Noël, Le porc au sel, La poule au pot, Courage voisin ! (Halha Nadau 3) |
L'ensemble de ces versions a été collectée par Patrick Lavaud
"Halha Nadau,
Lo pòrc a la sau, La pola au topin, Coratge vesin, La lèbe aus caulets, Arrevira-te, A gran còp de beret." Feu de Noël, Le porc au sel, La poule au pot, Courage voisin, Le lièvre aux choux, Retourne-toi, A grand coup de béret (Halha Nadau 5) "Halha Nadau,
Lo pòrc a la sau, La pola au topin, Paga vesin." Feu de Noël, Le porc au sel, La poule au pot Paie voisin
"Halha Nadau,
Lo pòrc a la sau, La pola au topin, Coratge vesin, Halha halhèra, Lo vesin qu'a la caguèra."
Feu de Noël,
Le porc au sel, La poule au pot, Courage voisin, Feu brasier, Le voisin a la diarrhée
"Halha Nadau,
Lo pòrc a la sau, La pola au topin Coratge vesin, Halha halhèra, Lo curè s'a copat la cafetièra"
Feu de Noël,
Le porc au sel, La poule au pot, Courage voisin, Feu brasier, Le curé s'est cassé la cafetière "Halha Nadau,
Lo pòrc a la sau, La pola au topin, Coratge vesin, La craba aus caulets, Arrevira veilet, D'un còp de foèt." Feu de Noël, Le porc au sel, La poule au pot, Courage voisin, La chèvre aux choux, Retourne valet, D'un coup de fouet (Halha Nadau 4) "Halha Nadau,
Lo pòrc a la sau, La pola au topin, Coratge vesin, La lèbe aus caulets, Arrevira veilet, A còp de foèt" Feu de Noël, Le porc au sel, La poule au pot, Courage voisin, Le lièvre aux choux, Retourne valet, A coup de fouet |
Comme le dit une de nos informatrices (le fait est rare !), le feu de Noël est un rituel de protection des récoltes : « Nous faisions le tour du champ, semé de blé, pour qu’il devienne beau. »(Halha Nadau 6) Cette fonction apparaît clairement dans quelques versions de l’incantation :
"Halha Nadau,
Lo pòrc a la sau, La pola au topin, Coratge vesin ! Halha halhèra, Un sac per arrèga." Feu de Noël, Le porc au sel, La poule au pot, Courage voisin, Feu brasier, Un sac par rangée. "Halha Nadau,
Lo pòrc a la sau, La pola au topin, Coratge vesin ! Halha halhèra, Una punhèra a cada arrèga." Feu de Noël, Le porc au sel, La poule au pot, Courage voisin ! Feu brasier, Une poignée par rangée |
Le sac et la poignée sont tous deux des unités de mesure des grains : la valeur de la première est de 80 à 100 litres, celle de la deuxième est de 50 litres. Le but du rituel est là exprimé très clairement : l’abondance des récoltes. Une autre version nous mène beaucoup plus loin, dans la compréhension de ce rituel :
"Halha Nadau,
Lo pòrc a la sau, La pola au topin, Coratge vesin ! La tripa au pau, Lo gat au hum, Pum !"
Feu de Noël,
Le porc au sel, La poule au pot, Courage voisin ! Les tripes au piquet, Le chat à la fumée, Pum ! |
Sources
J. de Laporterie, Les feux de joie de Noël (les hailles de Nadau) en Chalosse, in Bulletin de la Société de Borda, 1921, p. 31-34 ;
Abbé Césaire Daugé, Le mariage et la famille en Gascogne d'après les proverbes et les chansons, Paris, A. Picard, Bordeaux, Férêt et fils, 1916, p.286 ;
René Cuzacq, Pages de Folklore du Sud-Ouest. Noël, Premier de l'an et Carnaval au pays landais, Mont-de-Marsan, Ed Jean Lacoste, s.d., pp. 11-15.
C. M***, Fête de la Saint-Jean. Ses coutumes emblématiques expliquées in Le Glaneur, n° 60, 26 juin 1836
La référence au chat, que l'on rencontre aussi en Chalosse et dans la Grande Lande, ne peut se comprendre que quand on sait que c'était autrefois la forme animale qui était donnée au loup-garou. La fumée, dont on connaît le rôle protecteur, est alors un moyen de vérifier s'il s'agit d'un chat ou d'un sorcier :
«J'ai entendu parler par Madame P. que lorsque l'on trouvait un chat ou un chien, autrefois, on le mettait dans un sac et on le plaçait au dessus du feu. S'il se transformait en homme, c'est que c'était un homme, autrement le chat crevait.
De plus, il faut aussi souligner le rôle protecteur des cris. L'exclamation finale « Pum » apparait alors comme une formule pour se protéger contre les sorciers, qui ont la réputation, en Gascogne mais aussi ailleurs en Europe, d'être très puissants et dangereux la nuit de Noël.
Le feu de Noël est ainsi lié, de façon incontestable, au monde des croyances populaires et des rituels de protection en relation avec les loups-garous et les sorciers.